J'ai commencé à 16 ans, enfin à 16 ans je ne mangeais pas encore mes émotions, je contrôlais mon poids... J'ai plutôt commencé par l'anorexie. L'anorexie est un autre genre de plaie qui concerne aussi les troubles alimentaires. La satisfaction vient d'une sensation de contrôle, sur ce qui entre dans notre bouche, donc dans notre corps, et sur notre aspect physique. La plus grande satisfaction vient dans l'impression de faire partie d'un cercle très fermé et de se sentir spéciale. Quand j'étais anorexique, j'avais des lubies, je mangeais des pommes pour mes repas, mais pas que... Je mangeais des sandwichs triangles aussi, alors juste deux tranches de pain de mie complet, dedans une tranche de jambon sans gras, et surtout pas de beurre, et les jours de fête je mangeais des raviolis vapeur aux crevettes... A cela vous ajoutez un jour de jeûne par semaine. Je buvais beaucoup d'eau, jamais d'alcool. J'en étais arrivée à peser 42 kilos pour 1,72m. L'anorexie est entrée dans ma vie avec mon amour passionnel pour un mec de mon âge qui me maltraitait physiquement et psychologiquement. Devenir anorexique était le moyen de devenir "spéciale", différente des autres filles, une façon d'avoir un truc en plus, mais du coup c'était plutôt des trucs en moins... Juste avant de devenir anorexique, j'ai fait une TS (tentative de suicide) aux médicaments, une boîte de Lexomil plus précisément, j'ai dormi je ne sais combien de temps. J'ai marché au radar pendant plus d'une semaine après. On ne m'a pas emmenée à l'hôpital, je suis restée à digérer tout ça dans mon lit, dans ma chambre d'adolescente. J'avais vu ma mère faire des TS aux médicaments et à l'alcool depuis mes 6 ans. A 10 ans, je l'ai trouvé couché sur le sol du couloir et j'avais téléphoné aux pompiers, je savais dans le fond que ça ne marchait pas, ça n'a jamais marché pour elle, mais je l'ai fait quand même pour signifier mon ras le bol à la vie. C'est donc après cet épisode que je suis tombée dans l'anorexie, pour ne pas être comme les autres filles avec lesquelles ce mec me trompait en permanence. Et puis, le mannequinnat est venu à moi. Un soir, j'étais invitée à une soirée dans une célèbre boîte de nuit à la mode de l'époque à Paris, j'y suis allée bien évidemment, je me souviens que je parlais avec un mec qui me racontait n'importe quoi, qu'il était agent secret je ne sais pas quoi, bref, je ne buvais toujours pas d'alcool encore à l'époque, pourtant un moment je me suis sentie mal. La tête me tournait, je décide donc d'aller me rafraîchir aux toilettes, et je suis tombée dans les pommes. Impossible de me relever. La honte de ma vie ! Sortie par les pompiers, tout le monde croyait que je m'étais droguée... Je me suis retrouvée à l'hôpital, avec une perfusion au glucose. Au final, j'étais juste anorexique mais je me trouvais toujours trop grosse. Ils m'ont laissé sortir en me prévenant que s'ils me revoyaient ils m'interneraient. Ils ne m'ont jamais revue.
J'ai arrêté l'anorexie à 19 ans. Il s'est passé un phénomène plus tard dont je ne souhaite pas faire cas ici, qui a fait que effet inverse, j'ai commencé à manger mes émotions, je suis devenue boulimique. Alors la boulimie est beaucoup plus perverse je trouve que l'anorexie pour avoir vécu les deux. La boulimie est obsessionnelle. Ma première boulimie était intense, elle consistait à faire des courses en une assez grande quantité (tout est relatif mais pour une personne seule), sucrés et salés, avec des lubies, un moment c'était les barres chocolatées (snickers, twix, bountys, mars, balistos et toutes en même temps), après c'était les donuts avec les crèmes glacées Haagen Dazs, et tous les fromages panés à réchauffer (vache qui rit, soignon,...), de temps en temps, j'allais aussi chez "Glup's" sur les Champs-Elysées, c'était une boutique de bonbons au poids, je n'achetais que les bonbons rouges, les autres je ne les mangeais pas... Bref tout ce qui est bien merdique pour l'organisme. Après tu trouves des subterfuges, tu fais des crêpes à l'eau pour remplacer le lait et sans sucre. Le principe c'est de tout manger très vite en alternant les aliments avec des gorgées d'eau pour faciliter le vomissement. On arrête quand le ventre est aussi rond que celui d'une femme enceinte et qu'il fait mal. Ensuite on attend un peu et surtout, surtout on se fait vomir. Il faut que tout cela se passe à l'abri des regards évidemment. Le sentiment de honte est prépondérant. D'ailleurs la honte et la culpabilité sont les grands amis des boulimiques. Le 1er épisode boulimique n'a pas duré très longtemps car je suis repartie chez ce mec qui me maltraitait physiquement et psychologiquement. La boulimie a accompagné ma vie pendant quelques années de façon épisodique en fonction de mes occupations, de ma vie. Elle s'est réellement installée plus tard, vers mes 24 ans, de façon quotidienne sans me quitter durant deux ans. Et même lorsque j'ai eu mon appartement dans le 15ème arrondissement, je croyais que le fait d'avoir un vrai chez moi, à moi, changerait la donne et m'apporterait une certaine tranquillité d'esprit mais surtout la stabilité dont j'ai toujours rêvé, ce fichu équilibre tant recherché. Il n'en a rien été. Je ne pouvais rien avoir chez moi sans que ma seule obsession ne soit de le manger. C'était terrible. Je me retrouvais à flâner dans les rues de Paris pour ne pas manger. Il fallait que je m'occupe sinon ma seule obsession était de manger. Tous les jours tu te dis : "Je mange tout ce qu'il ne faut pas et demain j'arrête". Sauf que le lendemain tu n'arrêtes pas. Ce vide à combler ne me quittera plus jamais mais ça je ne le savais pas encore. J'essayais de tromper mon estomac avec du coca light ou du Pepsi max. Ça le remplissait avec un taux moindre de calories mais l'obsession était toujours là. Et puis, j'ai rencontré un mec, enfin un jeune, j'avais 25 ans lui 16 ans. Je ne sais pas pourquoi, il me voulait. J'ai d'abord rejeté ses avances en lui disant que c'était un gamin, qu'il fallait qu'il se trouve une nana de son âge... Mais un jour j'ai craqué, au final c'est une histoire qui a duré quatre années... Son amour à fait partir la boulimie, avec lui je me sentais belle, désirable, femme. Pour lui j'étais la femme, une vraie femme, une femme sexy et désirable, jamais il n'a émis la moindre critique physique. Grâce à son amour, la boulimie est partie sans que je ne m'en rende compte. Je ne ressentais plus ce besoin de combler ce vide. Un matin tu te lèves simplement et tu n'y penses plus. C'est comme ça. Je pensais en être débarrassée. Par mon image renvoyée dans les yeux d'un mec qui m'aimait et me désirait, qui me voyait comme un idéal de femme, simplement ça.
Et puis, ... 2022, octobre, un incident important dans ma vie a fait que mes vieux démons, que je croyais morts, ont ressurgi. Depuis octobre 2022, je re-mange mes émotions. Je m'isole, je me cache à la vue des gens parce que bien sûr j'ai honte. J'ai 44 ans, et la boulimie m'obsède toute la journée. Je me bats. Je me bats pour combler ce vide que je n'arrive pas à combler. Je me bats pour modérer cette boulimie qui fait changer mon corps et me fait entrer dans un cercle vicieux, celui de la souffrance. La lutte est épuisante. D'ailleurs certains jours je ne trouve même pas la volonté de me lever. Je n'ai plus d'envie, plus de goût à grands choses. Tous les matins le même combat. L'ennuie est mon pire ennemi. Alors, j'essaie de le tromper avec mes shootings, mes projets photos. Quand je suis en randonnée ou lorsque je ne suis pas seule il n'est pas question de boulimie. La boulimie c'est se sentir prisonnière d'un système, de sa vie, de ses obligations, des autres, oui je dis bien des autres... Prisonnière d'une image, prisonnière d'un mal être qui ne semble pas vouloir me quitter depuis toutes ces années. Prisonnière de mes émotions. N'importe quelle personne qui a une importance à mes yeux a le pouvoir d'actionner le dérèglement de mes émotions. Ces derniers temps, mes émotions ont été mises à de rudes épreuves. Déception, fatigue, ras-le-bol... Les blessures et les gens prennent l'importance qu'on veut bien leur donner. Le souci c'est que je suis une femme entière, quand j'aime je ne compte pas, mais souvent le retour est très décevant. Foutues émotions, foutue boulimie... Je mange mes émotions mais sachez que je me bats.
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